Lecture critique de l’existentialisme est un humanisme - Savoir-faire

Il est important de commencer par mentionner le fait que L’existentialisme est un humanisme n’est pas un texte théorique. Il a ainsi le mérite de rendre la pensée de Sartre plus accessible. Les concepts centraux de la philosophie y sont vulgarisés. Il en est de la conscience, d’autrui, de la liberté, de la responsabilité, de la mauvaise foi, etc.

L’existentialisme est un humanisme est une conférence organisée par le club Maintenant animé par Jacques Calmy et Marc Beigbeder et prononcée par Sartre à la Sorbonne le 29 octobre 1945, deux années après la publication de L’être et le néant. Dans cet ouvrage, Sartre défend le point de vue selon lequel la philosophie existentialiste est une philosophie humaniste qui place la liberté humaine au-dessus de tout.

Mais qu’est-ce que, plus précisément, l’humanisme? C’est une doctrine qui défend la valeur de la personne humaine et qui cherche, autant que faire se peut, à favoriser son épanouissement. Sartre considère que sa philosophie existentialiste est compatible avec l’humanisme.

Pourtant, il est important de souligner le fait que Sartre est passé d’une critique radicale de l’homme à une conversion à l’humanisme. Sartre dénonçait dans l’humanisme l’importance accordée aux bons sentiments. Antoine Roquentin invité à manger chez l’autodidacte se dit totalement déçu de l’humanisme. Aussi, le héros de La nausée, découvre-t-il que les choses qui l’entourent n’ont aucune raison d’être et qu’il serait lui-même de trop. En d’autres termes, il n’y a rien qui justifie l’existence des choses comme de l’être humain. Ce qui existe est bien là mais aurait tout aussi bien ne pas être. Tout est, par conséquent, contingent. L’existence n’est pas une nécessité. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même.

Mais qu’est-ce qui a amené Sartre à changer de point de vue? C’est, en effet, son expérience du stalag qui a fait découvrir à Sartre la condition humaine commune. Pour cette raison et pour bien d’autres encore, la pensée de Sartre sera l’objet de vives et multiples critiques.

Les enjeux de la critique de l’existentialisme sartrien

Il sera intéressant de clairement mettre en évidence les enjeux au cœur de la critique qu’un certain nombre de courants de pensée adresse à la philosophie de Sartre, de montrer la pertinence de ces critiques ou de mettre en exergue leur bien fondé ou non.

La critique marxiste de la philosophie sartrienne

La critique marxiste doit être située à un double niveau. La première dimension de la dite critique consiste à dire que l’existentialisme est une philosophie impuissante. Elle  est inactive. Elle est une philosophie bourgeoise parce que contemplative. Cela veut dire que cette philosophie se détourne de toute action qui tendrait à favoriser la transformation du monde c’est-à-dire l’amélioration des conditions d’existence matérielle.

La philosophie est ainsi une sorte d’idéalisme. Elle se contente simplement de réfléchir sur le monde objectif. Elle donne, autrement dit, la priorité à la théorie c’est-à-dire à l’interprétation du monde. Aussi se contente-t-elle simplement de le décrire voire de le mystifier – embellir la réalité.

Qui plus est, les auteurs de la critique marxiste de la philosophie existentialiste de Sartre considère que celle-ci est individualiste. C’est la deuxième dimension de la critique marxiste. Elle accorde la priorité non pas à la communauté mais à l’individualisme dont on sait qu’elle est une valeur centrale de la bourgeoisie hostile à tout élan de transformation radicale des conditions d’existence.

Contre cette manière de voir les choses, Sartre estime que sa philosophie est résolument orientée vers l’action libre. On ne saurait par conséquent la réduire à la contemplation qui est une marque distinctive des philosophies théoriques. Pour Sartre, l’être humain ne doit pas considérer que son destin est inscrit dans le Ciel des idées. Tels sont les arguments que Sartre mobilisent pour balayer le reproche adressé à sa philosophie par les marxistes.

Il est cependant difficile pour Sartre de faire face au reproche individualiste. C’est plutôt dans La raison dialectique qu’il cherchera à faire face plus ou moins efficacement à cette critique. Dans cette œuvre, il tentera de concilier la logique collective et l’approche centrée sur l’individu en recourant au concept de praxis. Sur le fond, on peut s’accorder avec les marxistes en considérant que l’existentialisme est un individualisme.

La critique catholique

Pour les catholiques, sans l’aide et l’assistance de Dieu,  l’être humain est totalement perdu. Sans cet être transcendant, l’homme est sans espoir et la vie humaine totalement absurde. L’être humain devra alors mener une existence insensée au terme de laquelle le salut est quasi impossible. Pour ce qui le concerne, Sartre assume totalement l’athéisme au cœur de sa doctrine. Il considère en effet que l’athéisme n’est nullement synonyme de nihilisme. L’absence de Dieu ne veut pas dire absence de valeurs.

C’est l’être humain lui-même qui est le créateur de ses propres valeurs. D’ailleurs, Sartre estime que c’est être incohérent que de chercher à postuler et à défendre un existentialisme chrétien. Un tel reproche est adressé à Jaspers, Kierkegaard et Pascal.

L’existence de Dieu nie la contingence – existence qui peut ne pas exister – de la vie humaine. Avec Dieu, l’existence devient nécessaire puisque l’essence humaine précède l’existence humaine. Selon le point de vue de Sartre, seul l’athéisme permet d’aller jusqu’au bout de la logique de la solitude humaine et de la responsabilité totale de l’être humain.

L’existentialisme ou le renversement de la tradition philosophique

Il est courant, dans le cadre de la tradition philosophique, d’avoir une approche essentialiste: l’essence précède l’existence. C’est sur la base de cette manière de voir les choses que les Grecs ainsi que leurs successeurs se sont intéressés à la question de l’être. Platon estime, dans La République, que l’existence est un mode secondaire dérivé de l’être véritable, autrement dit, de l’essence.

Mais qu’est-ce que, exactement, l’essence? L’essence c’est tout simplement la nature de quelque chose c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques fixes et immuables qui servent à définir la chose considérée. Sartre va totalement renverser la perspective philosophique traditionnelle de penser les rapports entre l’essence et l’existence. Aussi, sa doctrine constitue-t-elle un renversement de la tradition philosophique: l’essence ne peut pas précéder l’existence.

A l’essence ainsi conçue, Sartre oppose l’existence. Celle-ci est liberté, projet, jaillissement, création. Au sens étymologique, exister c’est être hors de soi. Dans la perspective de l’existentialisme, il s’agit de faire remarquer que l’être humain se tient hors de lui-même. Il n’est pas a priori défini par certaines caractéristiques. Il ne coïncide pas avec lui-même. L’être humain se projette vers un possible, vers quelque chose qu’il n’est pas. Il a constamment un rapport de néantisation avec son être. Il est quelque chose qu’il n’est pas encore. Il a à se définir. Il va se définir par les actes qu’il pose.

La conséquence majeure que Sartre tire de cette manière de voir les choses réside dans le fait qu’il n’y a pas de nature humaine. Une telle notion conférerait à l’homme une nature à laquelle il ne pourrait pas s’arracher. Il serait même absurde de la concevoir. Postuler l’essence ou définir une nature pour l’être humain reviendrait à lui imposer un modèle à suivre, un destin à accomplir.

L’homme existe en ce qu’il n’est rien de défini. Il devient ce qu’il a décidé d’être. L’homme crée sont existence en se choisissant. Pour Sartre s’inspirant de Marx, ce sont les actions que l’être humain produit et non les idées ou les croyances qu’il a qui permettent de savoir ce que précisément il est.

Selon Sartre, seuls les objets ont une nature, une fonction définie. Lors de la conférence, Sartre a donné l’exemple du coupe-papier. Parler de nature humaine c’est courir le risque de faire de l’être humain un exemplaire, un homme-moyen. On comprend, dès lors, que Sartre en arrive à considérer, en retournant à l’étymologie du mot que, ek-sistere signifie se projeter hors de soi. L’être humain n’est rien de défini. Il est ce qu’il a décidé d’être.

Une conception radicalement différente de la liberté humaine

La liberté humaine est, selon Sartre, absolue. Toutefois, Sartre reconnaît que l’être humain est engagé dans une situation donnée. L’être humain est toujours en situation. Il a un corps, une famille, des amis ou des ennemis, des obstacles à franchir. Pour Sartre, cette situation dans laquelle l’être humain est plongé ne doit pas cependant déterminer sa conduite.

La facticité – le fait d’être de telle manière – est une réalité avec laquelle l’être humain doit faire. La situation doit, autrement dit, se transformer en motif d’action. C’est, au demeurant, l’être humain lui-même qui donne un sens à la situation. L’être humain est responsable de ses actes et de tout ce qui lui arrive.

On comprend, dans une telle perspective, qu’il en arrive à considérer que les français n’ont jamais été aussi libres que sous l’occupation. La situation tragique ou dramatique rend d’ailleurs l’action d’autant plus urgente. Le monde n’est que le miroir de la liberté humaine. En elle-même, une situation n’est pas insupportable. Elle ne le devient en réalité que parce qu’elle suscite un projet de révolte.

La liberté constitue un pouvoir de néantisation, la possibilité humaine de dépasser le donné. L’être humain est un pour-soi. Néantiser signifie créer des possibles au sein du monde tel qu’il est. Néantiser, c’est introduire dans le monde de la liberté. Dire que l’être humain est condamné à rester libre signifie que la liberté n’a d’autre limite qu’elle-même. Ne pas choisir c’est encore choisir, c’est choisir de ne pas choisir. Seule la mort constitue la limite à la liberté. La mort transforme l’existence en essence, en destin. Mourir c’est être, c’est ne plus exister.  

Cette façon de penser la liberté humaine peut constituer un véritable fardeau pour l’être humain. Ce dernier peut, très mal, vivre cette situation de totale liberté. Aussi, peut-il en arriver à inventer des subterfuges pour faire semblant qu’il n’est pas libre. Dans une telle perspective, l’être humain fait preuve de mauvaise foi. Aussi, l’être humain devient-il en soi, chose qui se coule dans le monde. Du point de vue de Sartre, la facticité constitue, pour l’être humain, une excuse pour qu’il se fasse en soi.

Dans la pensée de Sartre, il y a six modes de facticité: naître dans une société ou une époque donnée, avoir un corps, avoir un passé, exister dans un monde qui nous préexiste, exister parmi d’autres sujet – intersubjectivité –, mourir.

Les concepts fondamentaux de l’œuvre

Sartre est considéré par certains commentateurs comme le philosophe de la liberté par excellence. De manière systématique, il récuse la liberté et fait de l’être humain un existant libre c’est-à-dire maître de ses valeurs et de l’histoire.

Le pour-soi rend compte chez Sartre du fait que l’existant humain ne peut pas coïncider avec lui-même.

Le pour-soi est inséparable de la conscience. Le pour-soi renvoie ainsi à l’être de l’homme. La liberté absolue est le principe du pour-soi. Cette liberté n’est pas synonyme d’absence de contingence ou de limite. Elle désigne une possibilité infinie de choisir.

Si le vélo ne peut être qu’un vélo ou un déchet de vélo, je peux être un cycliste parce qu’à tel instant je conduis mon vélo, à l’instant suivant, je peux me délecter à l’instant suivant de la baignade vers laquelle je me dirige.

Le pour-soi est la partie de notre corps à laquelle nous avons donné un sens. On peut donner l’exemple des actes que nous posons, notre imaginaire, nos souvenirs.

L’en soi renvoie à la caractéristique de toute chose extérieure à la conscience. Ce concept renvoie à tout ce qui est contingent, à tout ce qui est sans liberté. Une chose est en soi parce qu’elle ne peut être que ce qu’elle est. Elle ne peut, en d’autres termes, être autre chose. On peut dire que l’existence de tout en soi est passive. Un vélo ne peut pas décider d’être autre chose qu’un vélo. Un sapin n’exige jamais de son jardinier préféré une taille en forme d’ourson. Sans conscience, le sapin demeure toujours égal à lui-même.

Pour Sartre, l’en-soi c’est ce qui nous est donné au départ dans la vie sans pour autant que nous l’ayons choisi. Le corps avec ses forces et ses faiblesses est le résultat de notre code génétique particulier. Nous n’y pouvons rien.

Le pour-autrui : A l’en-soi et au pour-soi, Sartre ajoute le pour-autrui. Ce concept permet d’inscrire la liberté dans le rapport aux autres. il y a une partie de l’être humain qui intègre les regards et les appréciations des autres. 

En situation renvoie au fait que l’être humain qui est dans le monde se trouve dans une famille, un pays, une classe sociale qu’il n’a pas chois.

Pour Sartre, l’en-soi c’est ce qui nous est donné au départ dans la vie sans pour autant que nous l’ayons choisi. Le corps avec ses forces et ses faiblesses est le résultat de notre code génétique particulier. Nous n’y pouvons rien.

Dans L’être et le néant, Pour Sartre, l’en-soi c’est ce qui nous est donné au départ dans la vie sans pour autant que nous l’ayons choisi. Le corps avec ses forces et ses faiblesses est le résultat de notre code génétique particulier. Nous n’y pouvons rien.

Au sujet de la montagne, on peut décider de la contempler ou de la gravir. Cet exemple permet de voir le fait que la situation ne réfère pas exclusivement, chez Sartre, au contexte où les actions de l’être humain sont censées se déployer. Elle doit tenir compte à la fois du contexte et de la liberté de l’être humain. Les individus dont on vient de parler sont dans des situations différentes face à la montagne. Pour Sartre, l’homme doit perpétuellement se choisir. Si un individu considère qu’il ne peut pas se choisir, il est un lâche ou un salaud. Être libre c’est être obligé de choisir. Même quand on ne choisit pas, on choisit de ne pas choisir.

Pour Sartre, la liberté se manifeste toujours dans des situations concrètes. La liberté est toujours une liberté en situation. L’être humain a le choix entre accepter sa situation ou la transformer. Ma place, c’est-à-dire le pays où j’habite peut-elle être une restriction à ma liberté? La place qui est la mienne à ma naissance ne peut pas constituer une entrave à ma liberté. Comme nouveau né ou enfant, on ne peut pas y réagir c’est-à-dire choisir une autre place. Quant à ma place actuelle, j’en suis entièrement responsable.

La conscience est le mouvement de la transcendance vers le monde et les choses, mouvement fondamentalement transparent à lui-même.

L’existence évoque le fait d’être là, le fait de surgir dans le monde et de s’y forger. L’être humain est dans l’univers et y imprime ensuite sa marque. Il se construit librement.

La liberté désigne le pouvoir de la conscience à échapper aux déterminations naturelles.

Il n’y a pas de nature humaine mais il y a une condition humaine

Selon Sartre, il n’y a pas de nature humaine parce qu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. Sartre entend par-là souligner le fait qu’il n’y a pas de caractéristiques communes qui se retrouveraient chez tous les humains. Postuler l’existence d’une nature humaine revient à dire qu’il y a un ensemble de caractères ou de traits communs à tous les hommes. Dans une telle perspective, l’individu ne serait en fait qu’un exemplaire d’une essence unique appelée nature humaine.

Ce que les hommes partagent c’est plutôt, selon Sartre la condition d’êtres libres. C’est ce qui leur permet de se réaliser dans des projets qui sont toujours uniques. Considérant la condition humaine, Sartre soutient que c’est l’existence qui précède l’essence.

Distinguer la liberté selon Sartre de la liberté négative :

Il est courant dans le cadre des réflexions philosophiques sur la liberté de voir dans l’exercice de la liberté l’exercice d’un pouvoir. Je suis libre si je peux faire une action bien déterminée. Je suis libre si rien ne m’empêche d’agir. La liberté est identifiée dans une telle perspective à l’absence de contraintes qui empêchent l’être humain d’agir.

Liberté et contraintes :

Pour Sartre, l’exercice de la liberté ne se fait jamais dans l’abstrait. Il y a toujours des contraintes qui s’exercent sur l’être humain quand il fait des choix. Chaque être humain choisit dans une situation qui est toujours particulière. Quand l’individu choisit, il le fait toujours dans le cadre de certaines déterminations. On nait dans un monde qui est déjà déterminé. Ces déterminations façonnent d’ailleurs en partie la vie de l’être humain. Pourtant, Sartre rejette toute idée de détermination de l’être humain.

L’être humain est condamné à être libre :

Selon Sartre, la liberté n’est ni un cadeau ni un droit. Nous l’avons reçu malgré nous. Elle nous colle à la peau. Elle nous oblige à nous construire. La liberté sartrienne est liée à la conscience qui choisit d’être ceci ou cela indépendamment de tout déterminisme. C’est une liberté que chacun doit assumer. Ce n’est pas une liberté-concept ou une liberté-notion. Elle se manifeste chaque fois que nous faisons un acte. Sartre n’établit pas de distinction entre faire et choisir.

Être libre ou assumer les déterminations qui pèsent sur nous :

Sartre reconnaît qu’il y a des dimensions de notre être sur lesquelles nous ne pouvons pas agir. Je ne pourrai jamais changer le pays où je suis né. Ce lieu de naissance détermine en partie – mais en partie seulement – ce que je deviendrai. La réponse que chacun donne à ces déterminants varie. On a vu avec Freud que les enfants ne traversent pas la phase œdipienne de la même façon. L’exercice de la liberté doit amener l’individu à assumer pleinement les déterminants qui agissent sur lui au moment de ses choix. Il y a toujours des contraintes à l’Exercice de la liberté.

La liberté comme choix c’est-à-dire action :

La liberté est la possibilité d’être autrement que ce que nous sommes aujourd’hui. Vous pouvez décider d’abandonner les études aujourd’hui même en assumant toutes les conséquences de votre choix. Si vous usez effectivement de cette possibilité, si vous exercez effectivement votre liberté en ce sens, le choix n’est plus de l’ordre de la possibilité, il devient une action.

Le projet renvoie au fait que la conscience se jette en avant d’elle-même vers l’avenir. L’être humain est pro-jet. Pour Sartre, l’être humain se projette consciemment dans la réalité. Il fait, autrement dit, des choix.

L’authenticité :

Il appartient à l’être humain de se situer par rapport à ce qu’il veut ou non atteindre. C’est à chacun de donner une signification existentielle à la place qu’il occupe. Selon Sartre, la situation dans laquelle l’être humain se trouve peut exiger de lui une bonne dose de courage et d’authenticité.

Tenter d’être soi-même, de s’assumer, de faire preuve d’authenticité, de responsabilité et de courage est une valeur essentielle à l’être humain. Il y a des personnes qui se mentent à elles-mêmes en refusant de regarder la réalité en face. Pourtant, il faut bien reconnaître qu’il peut être extrêmement difficile d’être authentique. On pourrait donner les exemples d’un homosexuel qui vit dans un  milieu où l’homophobie est très forte ou une femme qui vit dans un milieu sexiste. L’homosexuel pourrait être tenté de cacher son orientation sexuelle. Il pourrait même aller jusqu’à la nier pour éviter les moqueries. Il serait dans une telle perspective dans l’inauthenticité. Cela veut dire qu’il ne s’assumerait pas dans ses actions. Il chercherait à se définir comme les autres veulent qu’il soit. On peut parler du pour-autrui.

Pour Sartre, l’être humain vit dans un monde où il y a aussi autrui. Autrui joue un rôle important dans le cadre de la réalisation de l’authenticité. L’autre me confère un caractère. Il cherche à me définir. il peut aussi constituer une menace pour moi. Quand l’autre utilise à mon égard les qualificatifs de sympathique, d’antipathique, de bon ou de méchant, il veut m’atteindre dans mon être. C’est toutefois moi qui dois accepter ou non l’image de moi que l’autre présente. C’est ma liberté personne qui permet d’accorder du crédit ou non à ce qu’autrui dit de moi.

Le regard d’autrui peut aussi constituer une menace. Pour Sartre, l’enfer c’est autrui. L’enfer n’est pas pour le philosophe un lieu de torture physique. On n’y endure ni feu ni gril – instrument servant au supplice du feu. Dans Huis clos, l’enfer est représenté par un simple salon sans fenêtre avec seulement trois fauteuils pour Garcin, Inès et Estelle condamnés à rester seuls ensemble et pour toujours. Pour Sartre, le sommet de la souffrance se situe non pas dans la douleur physique mais dans le voisinage des autres. le bourreau de chacun de nous pour les deux autres dit Inès.

Pour Sartre, l’enfer de Huis clos peut être identifié à la condition de l’être humain ici-bas. Les autres nous condamnent à être ce qu’ils jugent que nous sommes. Si autrui décide que je ne suis qu’un salaud. Je ne suis que cela à ces yeux. L’enfer peut ainsi conduire à la haine d’autrui. Y a-t-il une porte de sortie quand on est prisonnier dans l’enfer des autres?  il doit s’agir pour chacun de donner un sens au point de vue d’autrui à la lumière des fins qu’il aura librement définies. Chacun peut accepter ou refuser la définition que l’autre lui attribue. Chacun peut décider de reprendre à son compte ou non les limites imposées par la liberté d’autrui.

Selon Sartre, il y a un dilemme qui peut être ainsi résumé. Il s’agit pour l’être humain d’être authentique c’est-à-dire s’assumer ou de se plier à l’image que les autres se font de nous. Être authentique c’est assumer pleinement l’être libre que nous sommes. Être libre pour Sartre c’est choisir comment l’être humain entend vivre telle ou telle situation qui s’impose à lui. Ce sont les déterminations auxquelles l’être humain fait face qui constituent les conditions dans lesquelles il exerce sa liberté. Il peut bien y avoir quelque chose d’héroïque dans la recherche de l’authenticité.

On peut prendre l’Exemple de Mandela pour illustrer l’authenticité. Le gouvernement l’avait invité à renoncer à la lutte contre l’apartheid pour un poste au gouvernement. Il préférera cependant retourner en prison plutôt que de trahir ses convictions. D’autres choix étaient possibles pour Mandela. Il aurait pu mettre de côté son identité noire et devenir avocat malgré les embuches qu’il aurait probablement eu à surmonter. Pour Sartre, le monde dans lequel l’être humain habite sera celui qu’il aura choisi avec plus ou moins d’authenticité.

Mais comment s’assumer son identité juive dans le contexte de la Deuxième Guerre Mondiale et de l’antisémitisme ambiant? Certains juifs ont avec courage défié l’antisémitisme. Des français ont aussi décidé de risquer leur vie – les justes – pour sauver des juifs pendant l’Holocauste. On peut d’ailleurs donner le célèbre exemple d’Oskar Schindler, un allemand qui a sauvé de nombreux juifs en risquant lui-même sa vie. Membre du parti nazi, Schindler, comme industriel, va embaucher 1100 juifs va ses entreprises et les présenter comme morts. C’est par le geste courageux qu’il a pu les empêcher d’être acheminés à Auschwitz.

S’assumer authentiquement revient à être ce que l’on est réellement et non ce que les autres voudraient que l’on soit. L’exemple de Schindler montre que l’on peut toujours assumer la condition profonde de l’être humain, celle d’un être libre. Pour Sartre, la liberté est essentielle à la définition de la condition de l’être humain. C’est comme si l’être humain se trouve à la croisée des chemins et doit faire preuve de bonne foi ou de mauvaise foi.

La mauvaise foi :

Certains individus peuvent considérer qu’ils n’ont pas à choisir puisqu’ils sont convaincus que leur vie ne résulte pas de choix. Ce sont plutôt les déterminations de toutes sortes – comme la famille, la société, la situation économique, la nationalité, le code génétique, les passions, les émotions – dans lesquelles ils sont inscrits qui décident du cours de leur existence. Ils voient dans ces différents déterminismes les causes de nos actions. Parler de ce point de vue revient, selon Sartre, à faire preuve de mauvaise foi. Dans le cas de la mauvaise foi, l’individu se ment à lui-même. L’être humain qui réfléchit de cette manière-là n’assume pas sa condition et n’est pas authentique.

Pour Sartre, ce sont les choix que l’on fait chaque jour qui déterminent non seulement ce que je suis mais aussi l’humanité tout entière. Cela veut dire que, dans le cadre de l’exercice de la liberté, l’être humain est responsable de lui-même et de tous les autres humains. On affirme toujours sa liberté face aux autres qui peuvent faire preuve de bonne ou de mauvaise foi. La bonne foi est, dans la philosophie de Sartre, la recherche de la liberté. On peut la considérer alors comme une valeur fondatrice. Il est important de voir les passages intéressants de L’existentialisme est un humanisme (67-69) que Sartre consacre à l’analyse de la mauvaise foi.

Dans la pensée de Sartre, la mauvaise foi renvoie au mensonge que l’on fait à soi-même. Elle désigne le mensonge de la conscience à elle-même. La mauvaise foi n’est pas réductible au mensonge tout court. Ce qui caractérise le mensonge c’est le fait que le menteur soit complètement au courant de la vérité qu’il déguise. Pour qu’il est mensonge, il faut qu’il y ait une dualité entre moi et autrui, celui qui trompe et celui qui est trompé. Sartre souligne le fait que c’est consciemment que l’on décide d’être de mauvaise foi. Un acte de mauvaise foi n’est pas la manifestation d’un désir qui nous détermine à notre insu.

Dans le cadre de la mauvaise foi, c’est à lui-même que l’individu cache d’abord et avant tout la vérité. la mauvaise foi se manifeste de différentes façons. On fait preuve de mauvaise foi quand on refuse de choisir. le fait de jouer sur deux tableaux comme les femmes savent si bien le faire. On est dans la mauvaise foi quand on refuse d’endosser la responsabilité de ses actes. On peut donner l’exemple du voleur qui arrêté pour cambriolage d’une banque invoque devant le jugement les conditionnements sociaux – il a été entrainé dans la criminalité par la fréquentation de mauvaises personnes – ou familiaux – son père était un alcoolique.

L’humain est si responsable de ses choix qu’il est dans l’obligation de les considérer comme valables pour tous les autres. Toujours dans L’existentialisme est un humanisme, Sartre écrit: «Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être».

L’angoisse

L’angoisse c’est le sentiment et la saisie de l’imprévisibilité de la liberté humaine. Elle se distingue de la peur par le fait qu’elle n’a pas un objet déterminé.

L’être humain que nous choisissions d’être propose un portait de l’humain à nos semblables. Ce portrait est valable pour toute l’époque dans laquelle nous vivons. C’est comme si, en quelque sorte, l’homme disait à ses semblables: «ce choix de vie qui est le mien repose sur une ou des valeurs que je vous propose comme étant bonnes». Le modèle de valeur que l’on propose à travail nos actions doit être applicable à tous.

Du fait de son existence et de ses choix, l’être humain est engagé dans son monde et dans son époque. Il choisit d’être ceci ou cela. L’être humain se définit par ses propres actes. Il propose aussi à tous les valeurs contenues dans ces actes. Nous sommes responsables pour nous-mêmes et pour tous. Chaque acte humain présente une idée de l’humanité. On a là une responsabilité immense qui nous place devant l’angoisse.

Mais qu’est-ce que l’angoisse selon Sartre? C’est en effet l’inquiétude profonde vécue par l’individu conscient de devoir construire pour lui-même et pour tous, sans modèle ni référence, une essence humaine dont il est entièrement responsable. L’angoisse est un sentiment qui résulte du fait que nous sommes jeté dans une monde que nous n’avons pas choisi. Elle renvoie à l’absurdité de l’existence de l’être humain. L’existence humaine est dépourvue de sens. Elle ne peut pas être justifiée rationnellement. Je n’ai pas choisi de naître et je suis assuré de mourir un jour. Sartre utilise le concept de facticité pour caractériser le caractère absurde non nécessaire de l’existence humaine.

Je sens la nausée en prenant conscience du fait que les choses posées là comme moi qui existe parmi elles sont injustifiables. Il y a comme un malaise, un dégoût face à ma propre existence et face à l’existence des choses. L’être humain est comme de trop dans un monde sans raison ni finalité. Il n’y a rien dans le monde pour orienter l’être humain. Il éprouve de ce point de vue l’angoisse du vide. Il n’y a rien pour nous indiquer ce qu’il y a à faire. Il n’y a pas de signe dans la morale.

Il ne faudrait pas considérer que le monde extérieur constitue une menace et susciter l’angoisse. L’angoisse doit être distinguée de la peur. La peur renvoie à un objet, à quelque chose qui suscite ou déclenche la peur. L’angoisse émane de la conscience dans son avenir qu’elle n’est pas encore mais qu’elle est totalement libre de faire. L’angoisse est la conscience de ne pouvoir faire autrement que d’être libre. C’est la conscience qui s’angoisse elle-même devant les choix qu’elle a à faire.

On a toujours à accepter ou à refuser une situation devant laquelle on est placé. Puisque l’on doit proposer à l’humanité des valeurs à travers nos propres choix, on est angoissé. La responsabilité des choix est donc à l’origine de l’angoisse que la conscience éprouve. La conscience peut chercher à fuir l’angoisse. Elle peut se dérober à ses responsabilités. Elle peut tenter de choisir sans choisir.

La responsabilité :

L’existentialisme n’est pas un individualisme. L’être humain a des valeurs morales. Il engage dans son acte l’humanité.

Au début de l’ouvrage, Sartre prend bien soin de mettre en garde contre les dérives et les mauvaises interprétations dont fait l’objet le courant existentialiste. Après avoir clairement dit ce que la doctrine n’est pas, il énonce, sans l’expliciter, le principe fondamental au cœur de la doctrine: l’existence précède l’essence.

Selon Sartre, pour ce qui concerne les objets fabriqués, on peut dire que l’essence précède l’existence. Les chrétiens qui voient en Dieu un artisan étendent ce point de vue à l’être humain. ce dernier est alors assimilé à un produit de la création divine. Même pour les philosophes athées du XVIIIe siècle, cette manière de voir les choses n’a pas paradoxalement disparu.

C’est seulement après toutes ces clarifications que Sartre pourra exposer la conception existentialiste athée de l’être humain. Le point central de la doctrine consiste à dire qu’il n’y a pas de nature humaine puisqu’il n’y a de Dieu pour la concevoir. La conséquence majeure qui découle de cette affirmation est celle-ci: chez l’être humain, l’existence précède l’essence. En d’autres termes, l’être humain existe d’abord et se définit ensuite. Il est d’abord et avant tout projet.

La thèse existentialiste implique alors la totale responsabilité de l’être humain. L’être humain est responsable de lui-même mais aussi de toute l’humanité.

L’être humain est angoisse dans la mesure où il ne peut échapper d’aucune façon – sauf à faire preuve de mauvaise foi – au sentiment de sa totale et profonde responsabilité. Une telle angoisse n’est pas ce qui paralyse. Elle est la condition de l’Action qui résulte d’un choix.

Finalement, Sartre nous invite à tirer toutes les conséquences de a non-existence de Dieu. Si Dieu n’existe pas, l’homme est délaissé. Il n’existe pour lui aucune valeur a priori à laquelle il puisse se référer. Il est important de rappeler que même la morale laïque qui ne se réfère à aucun Dieu refuse d’admettre un tel point de vue. Nulle divinité n’a créé l’être humain.

Aucune force suprême ne peut non plus sauver ce dernier du mal, de la souffrance, de l’exploitation, de l’aliénation ou de la destruction. Aucun au-delà ne peut non plus quelque bien ou quelque vérité que ce soit. Totalement délaissé, l’être humain est de part en part responsable de son sort. Chaque choix que l’être humain effectue lui appartient en propre. Acculé à l’action, l’être humain doit s’engager dans son existence, prendre en main le cours de sa vie.

Auteur: 
Cheikh Faye

Commentaires

très intéressant et complet. mais je suis très surpris de la remarque déplacée :" le fait de jouer sur deux tableaux comme les femmes savent si bien le faire. " au chapitre sur la mauvaise foi. du coup je prend le texte avec une certaine circonspection ...

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