Le travail - TL

Ne confondez pas travail et activité animale ; le travail est un phénomène spécifiquement humain. L'époque moderne glorifie le travail, source de toute valeur, et élève l'animal laborans (l'animal travaillant) à un rang très élevé.

 

Ainsi, Marx souligne la spécificité du travail humain qui implique un plan et un projet spirituel, et se différencie ainsi de l'opération animale. Certes, l'animal construit son nid ou son abri, mais il ne travaille pas à proprement parler, car il ne réalise aucun but consciemment. Il n'exerce ainsi aucune volonté réfléchie. Alors que l'homme a une activité vitale consciente, l'animal ne se représente pas ses fins.

 

Le travail vocation essentielle de l'homme, le distingue des autres êtres vivants, dominés par leurs instincts.

K.Marx le soutient avec ces propos "le travail est de prime à bord un acte qui se passe entre l'homme et la nature".

 

Notre point de départ, c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire, l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte.

 

C'est qu'il construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.

 

L'homme est le seul être capable de fabriquer des outils (homofaber) et de s'en servir comme instrument de son esprit (homo sapiens). Donc, le travail humain a la spécificité d'être une activité consciente et concrète.

 

Selon Bergson, le travail humain est une activité intelligente, et l'intelligence est pour lui l'aptitude qu'à l'homme à pouvoir fabriquer des outils.

 

Dire que c'est une activité intelligente implique aussi une compréhension des lois de la nature.

 

Francis disait, "On ne commande à la nature qu'en l'obéissant" ; c'est-à-dire obéir à ses lois. Autrement dit, la transformation de la nature ne saura se faire sans la compréhension des lois qui la gouvernent.

 

Ainsi, le travail libère l'homme de la nature.

 

Marx disait que "l'animal ne produit que sous l'emprise du besoin immédiat tandis que l'homme produit alors qu'il est libéré du besoin physique et il ne produit vraiment que lorsqu'il est libéré"

 

Le travail implique donc une certaine liberté de l'être, là où la liberté fait défaut, on ne peut donc parler de travail.

D'après Pierre Janet, "l'animal ne travaille pas, le travail est un genre d'action plus difficile et plus rare qu'on ne le croit. Il n'existe pas chez l'animal, nous les faisons agir et peiner pour notre avantage en utilisant leur tendance inférieure à la recherche de l'alimentation par la suite des douleurs, mais ils ne font pas eux même le travail".

Le travail nous signale l'étymologie du terme en latin qui est une activité douloureuse.

Les mots "tripalus" et "tripaliar" qui signifient torturer, assujettir.

 

Si le travail est torture, il est aussi formateur. Il ouvre la voie à la liberté. Il signifie aussi aliénation et malheur.

L'étymologie même du mot travail renvoie à un instrument de torture ; Dieu condamne Adam au travail qui est le châtiment du péché originel.

Le travail est donc une nécessité vitale à laquelle l'homme semble condamné, car contrairement aux animaux, il ne trouve pas dans la nature de quoi satisfaire immédiatement ses besoins : les vêtements ne se tissent pas tout seuls, la terre doit être cultivée.

 

L'invention des machines ne résout pas le problème puisqu'il faut encore des hommes pour les concevoir et les réparer.

 

Du point de vue religieux, après avoir manger le fruit défendu (l'arbre de la connaissance) la sanction est tombée.

 

A Adam c'est à la sueur de ton front que tu mangeras et à Eve tu enfanteras dans la douleur.

 

Donc, le travail est une nécessité fatale. Toute la descendance d'Adam et de Eve est condamnée à souffrir pour survivre.

 

Il est aussi attesté que dans la Grèce antique le travail était l'objet d'un mépris et particulièrement le travail manuel. Celui-ci était essentiellement réservé aux esclaves.

 

Pour les grecques de l'époque, le travail était une activité avilissante et dévalorisante qui assujettit l'homme à l'arbre de la nécessité.

Le travail ne se réduit pas uniquement de cette nécessité douloureuse qui est son aspect négatif.

Il a aussi un aspect positif, libérateur, aliénant, formateur et une complémentarité avec les loisirs.

Si le travail ouvre la voie à la liberté, il est formateur et signifie aussi aliénation et malheur.

Si le travail est vécu comme une contrainte pénible, il n'en est pas moins le moyen par lequel l'homme s'affranchit de la nature et conquiert sa liberté et son humanité.

C'est ce que montre Hegel : En m'apprenant à retarder le moment de la satisfaction de mes désirs, le travail m'oblige à me discipliner. Dans l'effort, l'homme se rend peu à peu maître de lui-même ; il se libère ainsi de la nature en lui (les instincts) en transformant la nature hors de lui.

 

Faire taire la tyrannie des instincts, n'est ce pas là précisément être libre, n'est ce pas là la marque propre de l'humanité ?

 

Le travail est donc nécessaire, sans lui l'homme ne peut pas réaliser son humanité.

 

Hegel montre aussi que le travail nous libère de l'angoisse de la mort.

L'esclave devant son maître a peur de la mort, mais c'est par le travail qu'il surmonte cette idée de mort.

 

Ainsi, A.Kojève soutient que "c'est en servant un autre, c'est en s'extériorisant, c'est en se solidarisant avec les autres qu'on s'affranchit de la terreur asservissante qu'inspire l'idée de la mort.

 

Le travail permet aussi à l'homme de se libérer de la nature en la transformant et en modifiant la nature extérieure et sa propre nature, contrairement à l'animal qui est dominé par la nature.

 

La négation de la nature est une humanisation.

 

Dans la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel, le travail qui a renversé la métaphysique dont il est issu, est un moyen pour l'homme d'accéder à sa plus haute dignité.

 

L'esclave qui imprime sa marque à l'humanité par le travail devient maître du maître qui dépend du travail de l'esclave.

 

Donc, l'esclave devient maître et le maître devient esclave.

 

En accroissant son pouvoir d'agir et sa connaissance des lois de la nature, il récupère une certaine forme de liberté liée à la domination de la nature.

 

Selon Hegel, le travail est aussi formateur. C'est le travail qui définit l'homme car il le forme et le produit. L'homme, en transformant la nature et les choses, se construit et se réalise lui-même.

Il façonne la nature à son image et accède ainsi à la conscience et à la liberté (Hegel : dialectique du maître et de l'activité, la phénoménologie de l'esprit 1807).

 

Le travail forme et éduque, il transforme le monde et civilise.

 

C'est donc par le travail que l'homme se réalise en tant que homme et se définit.

L'ouvrier réduit à n'être qu'une force de travail, voit son travail l'appauvrir au lieu de l'enrichir. Il ne peut même pas acheter le produit de ses efforts, tandis que la rationalisation du processus productif et la division des tâches le transforme en pièce d'un mécanisme qui lui échappe et sur lequel il n'a plus aucune maîtrise.

 

Au lieu d'être une affirmation de soi et une libération, le travail devient le lieu de la suprême aliénation ; en vendant son travail, l'ouvrier se vend lui-même ; c'est-à-dire aliène sa propre essence.

 

Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il se produit lui-même et produit l'ouvrier comme une marchandise.

 

L'artisan se reconnait dans sa création, mais avec la manufacture et l'industrie, le travail devient aliène : l'homme se trouve devant son produit comme devant une réalité qui lui est étrangère et le domine.

 

Le producteur ne se reconnait plus dans la chose qu'il produit.

 

Ce phénomène de l'aliénation (aliène en latin, étranger) a été mis en lumière par K.Marx en 1844.

 

Le travail aliène aussi la liberté de la réflexion, ce que soutient Nietzsche, qui voyait dans le travail la meilleure des polices.

Le labeur est une police qui discipline, arrache à la réflexion et à la pensée.

 

A la société de labeurs, sécurité garantie.

Le loisir peut-il apporter une réponse aux multiples problèmes du travail et constituer une sphère de liberté et d'épanouissement ?

 

Certains sociologues soutiennent cette thèse en définissant le loisir comme un ensemble d'occupations auxquelles l'individu peut s'adonner de son propre gré.

 

Si le travail est déshumanisé, le loisir libre de toute aliénation est impossible.

Dans ce cas le loisir prolonge la servitude du travail. La routine du labeur entraine la passivité et la dévalorisation du travail.

 

Ainsi, Aristote définit le loisir comme une activité théorique et contemplative chère aux grecs. Alors, le loisir est la fin de toute activité.

 

Donc, il y a une complémentarité entre le travail et le loisir.

Dans son activité de transformation et de domination de la nature, l'homme est passé par différents stades : de l'ère de l'outil le plus rudimentaire, aux machines qui ont apporté un déséquilibre et un bouleversement social.

 

L'homme créateur des machines on devient victime. Les machines ne remplacent les ouvriers. Ce n'est plus la machine qui suit le rythme de l'ouvrier, mais c'est l'ouvrier qui suit la machine.

 

Le travail passe ainsi de son rôle d'humanisation à un rôle de déshumanisation. Ce que K.Marx appelle l'aliénation dans le processus de transformation propre aux sociétés capitalistes.

 

Marx montre comment le système capitaliste fait du propriétaire d'un bien non celui qui le travail, mais celui qui en possède les moyens de production. C'est le capital qui est rémunéré et non le travail, en sorte que les propriétaires n'ont pas besoin de travailler.

 

Le capitalisme, au lieu de faire du travail une activité libératrice et formatrice, en fait une activité aliénante.

L'ouvrier n'est plus maître de ce qu'il fait, mais sa force de travail est vendue et achetée comme une marchandise.

 

Le travail devient donc aliène en un double sens, car le travailleur, en cédant sa force de travail, s'aliène lui-même.

 

Le travail est aussi exploitation de la plus-value.

 

En effet, le propriétaire achète la force de travail de l'ouvrier qu'il revend, mais qu'il ne le paie pas à son juste prix.

Sur une valeur de 8h de travail, il n'en paye que 5h et les 3h constituent la plus-value qui va faire son profit.

 

L'exploitation diminue de nos jours sous l'effet de longues luttes ouvrières. La part de plus-value tend donc à se réduire dans nos sociétés contemporaines.

 

Ainsi, l'ère du capitalisme déshumanise le travailleur qui n'est plus qu'un faible maillon d'une grande chaine de production.

Le travail joue un rôle très important au sein de la société. Il transforme la nature animale de l'homme en domestiquant les instincts et les penchants, c'est aussi un moyen de sublimation des pulsions.

Il apparait comme un moyen de maintenir les liens sociaux.

 

Platon, dans le livre 2 de la république, montre que : la cité est née de l'obligation de tous les hommes de se prêter mutuellement assistance pour pouvoir affronter les difficultés de la vie.

 

De même, Aristote soutient dans éthique à nicomaque que le travail est le fondement de la société, car "c'est le besoin qui maintient la société comme une sorte de lien".

 

Comme l'homme ne peut pas satisfaire ses besoins à lui seul. Il a besoin du travail des autres.

Par conséquent, le travail contribue massivement à la vie collective. Il est un système d'intégration de l'homme dans la société.

 

Il reste que si la valeur du travail confère une dignité morale à la personne, la reconnaissance de cette dignité pose problème dans la mesure où les hommes sont privés de la jouissance légitime des droits sur les valeurs qu'ils produisent.

En réalité, nous voyons nettement que le travail maintient les hommes dans un système qu'ils contribuent à faire marcher alors qu'ils n'y voient plus leurs traces, ni leurs intérêts.

 

Faut-il prouver que l'homme pourrait être libre en cessant de travailler pour passer à l'informatisation avec les TIC.

 

Hannah Arendt pense qu'il est trop tard pour parler de l'informatisation de la production.

 

En effet, la société et les hommes ne savent plus faire autre chose que travailler.

 

A propos de la machinisation du travail, ce ne sont pas les machines qui échappent au contrôle des hommes, c'est l'usage que les hommes en font qu'ils ne contrôlent pas.

 

Travailler nécessite une communication et pour communiquer il faut un langage, une autre faculté importante de la vie qui relève de la culture.