Série de Textes sur Langage et Communication
Texte 1
[Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car,] c’est une chose bien remarquable, qu’il n’y a point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu’au contraire il n’y a point d’autre animal tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse semblable. Ce qui n’arrive pas de ce qu’ils ont faute d’organes, car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c’est-à-dire, en témoignant qu’ils pensent ce qu’ils disent ; au lieu que les hommes qui, étant nés sourds et muets, sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d’inventer d’eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui, étant ordinairement avec eux, ont loisir d’apprendre leur langage. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en n’ont point du tout. Car on voit qu’il n’en faut que fort peu pour savoir parler ; et d’autant qu’on remarque de l’inégalité entre les animaux d’une même espèce, aussi bien qu’entre hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n’est pas croyable qu’un singe ou un perroquet, qui serait des plus parfaits de son espèce, n’égalât en cela un enfant des plus stupides, ou du moins un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n’était d’une nature du tout différente de la nôtre. Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent des passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux ; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n’entendions pas leur langage ; car s’il était vrai, puisqu’elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu’à leurs semblables.
Descartes, Discours de la méthode (1637)
Descartes, Discours de la méthode (1637)
Texte 2
Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le message des abeilles n’appelle aucune réponse de l’entourage, sinon une certaine conduite, qui n’est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d’autres, telle est la réalité humaine. Cela révèle un nouveau contraste. Parce qu’il n’y a pas dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée linguistique ; déjà parce qu’il n’y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une manifestation linguistique ; mais aussi en ce sens que le message d’une abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu elle-même les choses que la première annonce. On n’a pas constaté qu’une abeille aille par exemple porter dans une autre ruche le message qu’elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de transmission ou de relais. On voit la différence avec le langage humain, où, dans le dialogue, la référence à l’expérience objective et la réaction à la manifestation linguistique s’entremêlent librement à l’infini. L’abeille ne construit pas de message à partir d’un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la butineuse, sortent et vont se nourrir à l’endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la même information, non d’après le message premier, mais d’après la réalité qu’elle vient de constater. Or le caractère du langage est de procurer un substitut de l’expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l’espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.
Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain.
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard.
Si nous considérons maintenant le contenu du message, il sera facile d’observer qu’il se rapporte toujours et seulement à une donnée, la nourriture, et que les seules variantes qu’il comporte sont relatives à des données spatiales. Le contraste est évident avec l’illimité des contenus du langage humain.
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard.
Texte 3
En posant l’homme dans sa relation avec la nature ou dans sa relation avec l’homme, par le truchement du langage, nous posons la société. Cela n’est pas coïncidence historique mais enchainement nécessaire. Car le langage se réalise toujours dans une langue, dans une structure linguistique définie et particulière. Langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. L’une et l’autre sont données. Mais aussi l’une et l’autre sont apprises par l’être humain, qui n’en possède pas la connaissance innée. L’enfant naît et se développe dans la société des hommes. Ce sont des humains adultes, ses parents, qui lui inculquent l’usage de la parole. L’acquisition du langage est une expérience qui va de pair chez l’enfant avec la formation du symbole et la construction de l’objet. Il apprend les choses par leur nom ; il découvre que tout a un nom et que d’apprendre les noms lui donne la disposition des choses. Mais il découvre aussi qu’il a lui-même un nom et que par là il communique avec son entourage. Ainsi s’éveille en lui la conscience du milieu social où il baigne et qui façonnera peu à peu son esprit par l’intermédiaire du langage.
A mesure qu’il devient capable d’opérations intellectuelles plus complexes, il est intégré à la culture qui l’environne. J’appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l’accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l’activité humaine forme, sens et contenu. La culture est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Elle consiste en une foule de notions et de prescriptions, aussi en des interdits spécifiques ; ce qu’une culture interdit la caractérise au moins autant que ce qu’elle prescrit. Le monde animal ne connaît pas de prohibition. Or, ce phénomène humain, la culture, est un phénomène entièrement symbolique. La culture se définit comme un ensemble très complexe de représentations, organisées par un code de relation et de valeurs : traditions, religion, lois, politique, éthique, arts, tout cela dont l’homme, où qu’il naisse, sera imprégné dans sa conscience la plus profonde et qui dirigera son comportement dans toutes les formes de son activité, qu’est-ce donc sinon un univers de symboles intégrés en une structure spécifique et que le langage manifeste et transmet ? Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C’est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l’homme, la langue et la culture.
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard.
A mesure qu’il devient capable d’opérations intellectuelles plus complexes, il est intégré à la culture qui l’environne. J’appelle culture le milieu humain, tout ce qui, par-delà l’accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l’activité humaine forme, sens et contenu. La culture est inhérente à la société des hommes, quel que soit le niveau de civilisation. Elle consiste en une foule de notions et de prescriptions, aussi en des interdits spécifiques ; ce qu’une culture interdit la caractérise au moins autant que ce qu’elle prescrit. Le monde animal ne connaît pas de prohibition. Or, ce phénomène humain, la culture, est un phénomène entièrement symbolique. La culture se définit comme un ensemble très complexe de représentations, organisées par un code de relation et de valeurs : traditions, religion, lois, politique, éthique, arts, tout cela dont l’homme, où qu’il naisse, sera imprégné dans sa conscience la plus profonde et qui dirigera son comportement dans toutes les formes de son activité, qu’est-ce donc sinon un univers de symboles intégrés en une structure spécifique et que le langage manifeste et transmet ? Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C’est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l’homme, la langue et la culture.
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard.
Texte 4
Nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Mesmer en fit l’essai, et, de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n’en est pas au mot. Si vraie pensée est la chose même, le mot l’est aussi lorsqu’il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l’intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses.
Hegel, Philosophie de l’esprit, traduction d’A. Vera, Ed. Germer Baillére, 1897, & 463, Remarque, P. 914.
Hegel, Philosophie de l’esprit, traduction d’A. Vera, Ed. Germer Baillére, 1897, & 463, Remarque, P. 914.
Texte 5
On voit d’une manière évidente pourquoi l’homme est un animal sociable à un plus haut degré que les abeilles et tous les animaux qui vivent réunis. La nature, comme nous disons, ne fait rien en vain. Seul, entre les animaux, l’homme a l’usage de la parole ; la voix est le signe de la douleur et du plaisir, et c’est pour cela qu’elle a été donnée aussi aux autres animaux. Leur organisation va jusqu’à éprouver des sensations de douleur et de plaisir, et à se faire comprendre les uns aux autres ; mais la parole a pour but de faire comprendre ce qui est utile et nuisible, et par conséquent aussi ce qui est juste ou injuste. Ce qui distingue l’homme d’une manière spéciale, c’est qu’il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et tous les sentiments de même ordre dont la communication constitue précisément la famille et l’Etat.
Aristote, Politique TRAD. Thurot, 1950, p.6, P.U.F.
Aristote, Politique TRAD. Thurot, 1950, p.6, P.U.F.
Texte 6
Pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent tous les genres. Le mot qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même
Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience, avec les mille nuances fugitives et les mille résonnances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu prés le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe.
Nous nous mouvons parmi les généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.
Bergson, le Rire P.U.F.1995, PP.156
Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience, avec les mille nuances fugitives et les mille résonnances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais, le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu prés le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe.
Nous nous mouvons parmi les généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et, fascinés par l’action, attirés par elle pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes.
Bergson, le Rire P.U.F.1995, PP.156
Texte 7
La parole joue toujours sur le fond de parole, elle n’est jamais qu’un pli dans l’immense tissu du parler. Nous n’avons pas, pour la comprendre, à consulter quelque lexique intérieur qui nous donnât, en regard des mots ou des formes, de pures pensées qu’ils recouvriraient : il suffit que nous nous prêtions à sa vie, à son mouvement de différenciation et d’articulation, à sa gesticulation éloquente.
Il y a donc une opacité du langage : nulle part il ne cesse pour laisser place à du sens pur, il n’est jamais limité que par du langage encore et le sens ne paraît en lui que serti dans les mots. Comme la charade, il ne se comprend que par l’interaction des signes, dont chacun pris à part est équivoque ou banal, et dont la réunion seule fait sens. […]
Nos analyses de la pensée font comme si, avant d’avoir trouvé ses mots, elle était déjà une sorte de texte idéal que nos phrases chercheraient à traduire. Mais l’auteur lui-même n’a aucun texte qu’il puisse confronter avec son écrit, aucun langage avant le langage. Si la parole le satisfait, c’est par un équilibre dont elle définit elle-même les conditions, par une perfection sans modèle.
Beaucoup plus qu’un moyen, le langage est quelque chose comme un être et c’est pourquoi il peut si bien nous rendre présent quelqu’un : la parole d’un ami au téléphone nous le donne lui-même, comme s’il était tout dans cette manière d’interpeller et de prendre congé, de commencer et de finir ses phrases, de cheminer à travers les choses non dites. Le sens est le mouvement total de la parole et c’est pourquoi notre pensée traîne dans le langage. C’est pourquoi aussi elle traverse le comme le geste dépasse ses points de passage.
Maurice Merleau-Ponty, Signes, Ed Gallimard, 1960
Il y a donc une opacité du langage : nulle part il ne cesse pour laisser place à du sens pur, il n’est jamais limité que par du langage encore et le sens ne paraît en lui que serti dans les mots. Comme la charade, il ne se comprend que par l’interaction des signes, dont chacun pris à part est équivoque ou banal, et dont la réunion seule fait sens. […]
Nos analyses de la pensée font comme si, avant d’avoir trouvé ses mots, elle était déjà une sorte de texte idéal que nos phrases chercheraient à traduire. Mais l’auteur lui-même n’a aucun texte qu’il puisse confronter avec son écrit, aucun langage avant le langage. Si la parole le satisfait, c’est par un équilibre dont elle définit elle-même les conditions, par une perfection sans modèle.
Beaucoup plus qu’un moyen, le langage est quelque chose comme un être et c’est pourquoi il peut si bien nous rendre présent quelqu’un : la parole d’un ami au téléphone nous le donne lui-même, comme s’il était tout dans cette manière d’interpeller et de prendre congé, de commencer et de finir ses phrases, de cheminer à travers les choses non dites. Le sens est le mouvement total de la parole et c’est pourquoi notre pensée traîne dans le langage. C’est pourquoi aussi elle traverse le comme le geste dépasse ses points de passage.
Maurice Merleau-Ponty, Signes, Ed Gallimard, 1960
Texte 8
Une des conquêtes de la linguistique actuelle est d’avoir aperçu et soigneusement distingué, différentes fonctions du langage : sa fonction de communication interhumaine immédiate, d’abord. Puis une fonction expressive (ou émotive chez quelques auteurs, celle par laquelle le locuteur manifeste son affectivité, volontairement, à travers ce qu’il dit-grâce au débit, à l’intonation, au rythme de ce qu’il dit. Puis encore, selon certains, une fonction appellative (ou conative), distincte de la précédente, celle par laquelle le locuteur cherche à provoquer chez son auditeur certaines tonalités affectives sans les partager lui-même (cas du menteur, de l’hypocrite, de l’acteur ou de l’orateur qui jouent ou parlent « à froid », du cas du « chef », etc). Puis encore une fonction (c’était la première aperçue depuis les Grecs, mais elle n’est première ni historiquement, sans doute, ni fonctionnement) d’élaboration de la pensée ; puis enfin une fonction esthétique (ou poétique). Jakobson attribue même au langage une fonction métalinguistique, celle par où le langage sert à parler du langage lui-même (quand nous disons : « Napoléon est nom propre » »rouge est un adjectif qualificatif », ou bien : le « barracuda est un poisson » etc.). Et finalement, une fonction phatique, celle grâce à laquelle le langage semble ne servir qu’à maintenir entre les interlocuteurs une sensation de contact acoustique (« Allô !... ») ou de contact psychologique de proximité agréable dans le bavardage social à vide ou la conversation d’amoureux, diseurs de riens, par exemple.
Quoi qu’il en soit de la réalité linguistique ou psychologique de certaines au moins de ces différentes fonctions, tout le monde est d’accord sur ce point : la fonction communicative est la fonction première, originelle et fondamentale du langage, dont toutes les autres ne sont des aspects ou des modalités non nécessaires.
Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Seghers, 1968, Pp. 79 – 80.
Quoi qu’il en soit de la réalité linguistique ou psychologique de certaines au moins de ces différentes fonctions, tout le monde est d’accord sur ce point : la fonction communicative est la fonction première, originelle et fondamentale du langage, dont toutes les autres ne sont des aspects ou des modalités non nécessaires.
Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Seghers, 1968, Pp. 79 – 80.
Texte 9
Considérons un arc en ciel ou le spectre d’un prisme. Sur la bande colorée, le passage d’une couleur à l’autre est progressif, c’est-à-dire qu’en chaque point il n’y a qu’une toute petite différence de couleur avec les points immédiatement voisins. Et cependant en français qui décrit l’arc-en- ciel parle de teintes telles que le rouge, l’orange, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo : la langue découpe la gradation continue de couleur en une série de catégories discrètes. C’est un exemple de structuration du continu. Rien dans le spectre ou dans la perception qu’en a l’homme n’oblige à le diviser ainsi. Cette méthode spécifique de division fait partie de la structure du français, le chona( langue de Zambie), le bassa( langue du Libéria), divisent le spectre.
français | Indigo | bleu | Vert | jaune | orange | rouge | ||
chona | cipswuka | citema | cicena | cipswuka | ||||
bassa | Hui | ziza | ||||||
Le sujet qui parle le chona divise le spectre en trois grandes catégories (terme cipswuka revient deux fois, mais c’est seulement parce que les extrémités rouge et indigo, qu’il range dans la même catégorie, sont distinctes sur le digramme). Il est intéressant de remarquer que « citema » correspond aussi à « noir » et « cicena » à « blanc ». En plus de ces trois mots, il y a, bien entendu, un grand nombre de termes pour les couleurs plus spécifiques, comme en français on a « écarlate », « vermillon », « pourpre », qui sont des variétés de « rouge ». La convention qui consiste à diviser le spectre en trois parties au lieu de six ne provient pas d’une différence dans la perception visuelle des couleurs, mais représente seulement une différence dans la manière dont la langue classe ou structure les couleurs.
Le sujet qui parle le bassa divise le spectre de façon radicalement différente : en deux catégories seulement.il y a beaucoup de mots pour désigner les couleurs spécifiques, mais il n’existe que ces deux termes pour les classes générales de couleurs. Un français en conclura aisément que sa propre division en six couleurs fondamentales est meilleure. Dans certains cas c’est sans doute vrai. Mais dans d’autres cas, cette divisions a des inconvénients : les botanistes par exemple se sont aperçus qu’elle ne donne pas de généralisation suffisante en ce qui concerne les couleurs des fleurs : ils constatent que les jaunes, les oranges, les rouges constituent une série et que les bleus, les violets et les rouges violacés en forment une autre. Ces deux séries présentent des différences fondamentales qui doivent être considérées comme essentielles à toute description botanique. Pour pouvoir décrire les faits de façon économique, on a dû forger deux néologismes génériques : « xanthique » et « cyanique » qui correspond à ces deux séries. Le botaniste parlant le bassa n’aurait pas à le faire, car il dispose des termes « hui » et « ziza qui divisent le spectre à peu prés selon ces deux catégories.
H.-A. GLEASON, Introduction à la linguistique, trad. F. Dubois-Charlier, Larousse, 1969, pp.9-10.
Texte 10
Parmi les peuples, comme parmi les souverains, il n’en est aucun que l’abus des mots n’ait précipité dans quelque erreur grossière. Pour échapper à ce piège, il faudrait, suivant le conseil de Leibnitz, composer une langue philosophique, dans laquelle on déterminerait la signification précise de chaque mot. Les hommes alors pourraient s’entendre, se transmettre exactement leurs idées : les disputes, qu’éternise l’abus des mots, se termineraient : et les hommes, dans toutes les sciences, seraient bientôt forcés d’adopter les mêmes principes.
Mais l’exécution d’un projet si utile et si désirable est impossible. Ce n’est point aux philosophes, c’est au besoin qu’on doit l’invention des langues : et le besoin, en ce genre, n’est pas difficile à satisfaire. En conséquence, on a d’abord attaché quelques fausses idées à certains mots ; ensuite on a combiné, comparé ces idées et ces mots entre eux : chaque nouvelle combinaison a produit une nouvelle erreur : ces erreurs se sont multipliées, en se multipliant, se sont tellement compliquées, qu’il serait maintenant impossible, sans une peine et un travail infinis, d’en suivre et d’en découvrir la source. Il en est des langues comme d’un calcul algébrique : il s’y glisse d’abord quelques erreurs : ces erreurs ne sont pas aperçues : on calcule d’après ses premiers calculs : de proposition en proposition, l’on arrive à des conséquences entièrement ridicules. On en sent l’absurdité : mais retrouver l’endroit où s’est glissée la première erreur ? Pour cet effet, il faudrait refaire et vérifier un grand nombre de calculs : malheureusement il est peu de gens qui puissent l’entreprendre, encore moins qui le veuillent, surtout lorsque l’intérêt des hommes puissants s’oppose à cette vérification.
HELVETIUS, De l’esprit, 1758, Discours 1, chap. IV.
Mais l’exécution d’un projet si utile et si désirable est impossible. Ce n’est point aux philosophes, c’est au besoin qu’on doit l’invention des langues : et le besoin, en ce genre, n’est pas difficile à satisfaire. En conséquence, on a d’abord attaché quelques fausses idées à certains mots ; ensuite on a combiné, comparé ces idées et ces mots entre eux : chaque nouvelle combinaison a produit une nouvelle erreur : ces erreurs se sont multipliées, en se multipliant, se sont tellement compliquées, qu’il serait maintenant impossible, sans une peine et un travail infinis, d’en suivre et d’en découvrir la source. Il en est des langues comme d’un calcul algébrique : il s’y glisse d’abord quelques erreurs : ces erreurs ne sont pas aperçues : on calcule d’après ses premiers calculs : de proposition en proposition, l’on arrive à des conséquences entièrement ridicules. On en sent l’absurdité : mais retrouver l’endroit où s’est glissée la première erreur ? Pour cet effet, il faudrait refaire et vérifier un grand nombre de calculs : malheureusement il est peu de gens qui puissent l’entreprendre, encore moins qui le veuillent, surtout lorsque l’intérêt des hommes puissants s’oppose à cette vérification.
HELVETIUS, De l’esprit, 1758, Discours 1, chap. IV.
Texte 11
(E. a) « Oui [je le veux] (c’est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) »- ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.
(E. b) « je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » - comme on dit lorsqu’on brise une bouteille contre la coque.
(E. c) «je donne et lègue ma montre à mon frère » - comme on peut lire dans un testament.
(E. d) « je vous parie six pence qu’il pleuvra demain ».
Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire, ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a plus besoin de démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation !» n’est ni vrai ni faux : il se peut que l’énonciation « serve à mettre au courant » - mais c’est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c’est dire dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à la mairie ou à l’autel, etc., « Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me marie.
Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou - par souci de brièveté – un « performatif ». Le terme« performatif » sera utilisé dans une grande variété de cas et de constructions (tous apparentés), à peu prés comme l’est le terme « impératif ». Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perfom, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose)
J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, pp 40 Ed du seuil, 1970.
(E. b) « je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » - comme on dit lorsqu’on brise une bouteille contre la coque.
(E. c) «je donne et lègue ma montre à mon frère » - comme on peut lire dans un testament.
(E. d) « je vous parie six pence qu’il pleuvra demain ».
Pour ces exemples, il semble clair qu’énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n’est ni décrire, ce qu’il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c’est le faire. Aucune des énonciations citées n’est vraie ou fausse : j’affirme la chose comme allant de soi et ne la discute pas. On n’a plus besoin de démontrer cette assertion qu’il n’y a à prouver que « Damnation !» n’est ni vrai ni faux : il se peut que l’énonciation « serve à mettre au courant » - mais c’est là tout autre chose. Baptiser un bateau, c’est dire dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise… » etc. Quand je dis, à la mairie ou à l’autel, etc., « Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d’un mariage : je me marie.
Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose de l’appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou - par souci de brièveté – un « performatif ». Le terme« performatif » sera utilisé dans une grande variété de cas et de constructions (tous apparentés), à peu prés comme l’est le terme « impératif ». Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perfom, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cette production-là comme ne faisant que dire quelque chose)
J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, pp 40 Ed du seuil, 1970.
Texte 12
Je conviens que si l'étude des langues n'était que celle des mots, c'est-à-dire des figures ou des sons qui les expriment, cette étude pourrait convenir aux enfants : mais les langues, en changeant les signes, modifient aussi les idées qu'ils représentent. Les têtes se forment sur les langages, les pensées prennent la teinte des idiomes. La raison seule est commune, l'esprit en chaque langue a sa forme particulière ; différence qui pourrait bien être en partie la cause ou l'effet des caractères nationaux ; et, ce qui paraît confirmer cette conjecture est que, chez toutes les nations du monde, la langue suit les vicissitudes des mœurs, et se conserve ou s'altère comme elles.
De ces formes diverses l'usage en donne une à l'enfant, et c'est la seule qu'il garde jusqu'à l'âge de raison. Pour en avoir deux, il faudrait qu'il sût comparer des idées ; et comment les comparerait-il, quand il est à peine en état de les concevoir ? Chaque chose peut avoir pour lui mille signes différents; mais chaque idée ne peut avoir qu'une forme : il ne peut donc apprendre à parler qu'une langue. Il en apprend cependant plusieurs, me dit-on : je le nie. J'ai vu de ces petits prodiges, qui croyaient parler cinq ou six langues. Je les ai entendus successivement parler allemand, en termes latins, en termes français, en termes italiens ; ils se servaient à la vérité de cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient toujours qu'allemand. En un mot, donnez aux enfants tant de synonymes qu'il vous plaira : vous changerez les mots, non la langue ; ils n'en sauront jamais qu'une.
C'est pour cacher en ceci leur inaptitude qu'on les exerce par préférence sur les langues mortes, dont il n'y a plus de juges qu'on ne puisse récuser. L'usage familier de ces langues étant perdu depuis longtemps, on se contente d'imiter ce qu'on en trouve écrit dans les livres ; et l'on appelle cela les parler. Si tel est le grec et le latin des maîtres, qu'on juge de celui des enfants! A peine ont-ils appris par cœur leur rudiment, auquel ils n'entendent absolument rien, qu'on leur apprend d'abord à rendre un discours français en mots latins ; puis, quand ils sont plus avancés, à coudre en prose des phrases de Cicéron, et en vers des centons de Virgile. Alors ils croient parler latin: qui est-ce qui viendra les contredire ?
En quelque étude que ce puisse être, sans l'idée des choses représentées, les signes représentants ne sont rien. On borne pourtant toujours l'enfant à ces signes, sans jamais pouvoir lui faire comprendre aucune des choses qu'ils représentent. En pensant lui apprendre la description de la terre, on ne lui apprend qu'à connaître des cartes ; on lui apprend des noms de villes, de pays, de rivières, qu'il ne conçoit pas exister ailleurs que sur le papier où on les lui montre. Je me souviens d'avoir vu quelque part une géographie qui commençait ainsi : Qu'est-ce que le monde ? C'est un globe de carton. Telle est précisément la géographie des enfants. Je pose en fait qu'après deux ans de sphère et de cosmographie, il n'y a pas un seul enfant de dix ans qui, sur les règles qu'on lui a données, sût se conduire de Paris à Saint-Denis. Je pose en fait qu'il n'y en a pas un qui, sur un plan du jardin de son père, fût en état d'en suivre les détours sans s'égarer. Voilà ces docteurs qui savent à point nommé où sont Pékin, Ispahan, le Mexique, et tous les pays de la terre.
Rousseau J.J., Emile Une édition électronique
De ces formes diverses l'usage en donne une à l'enfant, et c'est la seule qu'il garde jusqu'à l'âge de raison. Pour en avoir deux, il faudrait qu'il sût comparer des idées ; et comment les comparerait-il, quand il est à peine en état de les concevoir ? Chaque chose peut avoir pour lui mille signes différents; mais chaque idée ne peut avoir qu'une forme : il ne peut donc apprendre à parler qu'une langue. Il en apprend cependant plusieurs, me dit-on : je le nie. J'ai vu de ces petits prodiges, qui croyaient parler cinq ou six langues. Je les ai entendus successivement parler allemand, en termes latins, en termes français, en termes italiens ; ils se servaient à la vérité de cinq ou six dictionnaires, mais ils ne parlaient toujours qu'allemand. En un mot, donnez aux enfants tant de synonymes qu'il vous plaira : vous changerez les mots, non la langue ; ils n'en sauront jamais qu'une.
C'est pour cacher en ceci leur inaptitude qu'on les exerce par préférence sur les langues mortes, dont il n'y a plus de juges qu'on ne puisse récuser. L'usage familier de ces langues étant perdu depuis longtemps, on se contente d'imiter ce qu'on en trouve écrit dans les livres ; et l'on appelle cela les parler. Si tel est le grec et le latin des maîtres, qu'on juge de celui des enfants! A peine ont-ils appris par cœur leur rudiment, auquel ils n'entendent absolument rien, qu'on leur apprend d'abord à rendre un discours français en mots latins ; puis, quand ils sont plus avancés, à coudre en prose des phrases de Cicéron, et en vers des centons de Virgile. Alors ils croient parler latin: qui est-ce qui viendra les contredire ?
En quelque étude que ce puisse être, sans l'idée des choses représentées, les signes représentants ne sont rien. On borne pourtant toujours l'enfant à ces signes, sans jamais pouvoir lui faire comprendre aucune des choses qu'ils représentent. En pensant lui apprendre la description de la terre, on ne lui apprend qu'à connaître des cartes ; on lui apprend des noms de villes, de pays, de rivières, qu'il ne conçoit pas exister ailleurs que sur le papier où on les lui montre. Je me souviens d'avoir vu quelque part une géographie qui commençait ainsi : Qu'est-ce que le monde ? C'est un globe de carton. Telle est précisément la géographie des enfants. Je pose en fait qu'après deux ans de sphère et de cosmographie, il n'y a pas un seul enfant de dix ans qui, sur les règles qu'on lui a données, sût se conduire de Paris à Saint-Denis. Je pose en fait qu'il n'y en a pas un qui, sur un plan du jardin de son père, fût en état d'en suivre les détours sans s'égarer. Voilà ces docteurs qui savent à point nommé où sont Pékin, Ispahan, le Mexique, et tous les pays de la terre.
Rousseau J.J., Emile Une édition électronique
Texte 13
La crainte de parler pour ne rien dire est ou devrait être l’obsession du philosophe. Cependant, la difficulté commence dés qu’on veut préciser cette notion de verbalisme et la rendre vraiment utilisable.
Ce qui embarrasse d’abord est la diversité des cas où on l’invoque.
On ne taxe guère de verbalisme une pure formalité, par exemple la manipulation des signes de l’algèbre ou de la logistique. Le formel ne devient verbal que lorsqu’il prétend maîtriser un contenu trop riche. Alors surgit l’opposition de persuader à convaincre. Les déductions sévères de Socrate ne persuadent point Calliclès : Socrate demeure, à ses yeux, une grenouille coassante. Pour beaucoup, les arguments en forme de Leibniz verbalisent la liberté. Traiter more geometrico la morale, c’est s’exposer à compromettre à la fois logique et morale. Trop de logique rend la logique suspecte, parce que nous sentons que les définitions ont été choisies pour les preuves qu’elles préparent, et résulte d’un découpage, sinon tout à fait arbitraire, du moins, en grande partie, conventionnel : par suite, tout est démontrable. Mais si tout est démontrable, tout est verbal : le réel est ce qui résiste, n’obéit qu’à ses propres lois. D’où notre défiance à l’égard des systèmes trop bien construits : nous cherchons les fausses fenêtres. Cependant, à l’inverse, une formalité trop lâche, des idées mal liées, ou même, simplement, l’absence de système font accuser de verbalisme : que de philosophes renverraient volontiers Pascal ou Nietzsche à la littérature ! Ainsi situons-nous le vrai, le réel, entre le trop formel qui appelle la convention, et l’insuffisance formelle qui nous fait retomber à un impressionnisme subjectif.
Yvon BELAVAL, Les Philosophes et leur langage, Gallimard, 1952, pp163-164
Ce qui embarrasse d’abord est la diversité des cas où on l’invoque.
On ne taxe guère de verbalisme une pure formalité, par exemple la manipulation des signes de l’algèbre ou de la logistique. Le formel ne devient verbal que lorsqu’il prétend maîtriser un contenu trop riche. Alors surgit l’opposition de persuader à convaincre. Les déductions sévères de Socrate ne persuadent point Calliclès : Socrate demeure, à ses yeux, une grenouille coassante. Pour beaucoup, les arguments en forme de Leibniz verbalisent la liberté. Traiter more geometrico la morale, c’est s’exposer à compromettre à la fois logique et morale. Trop de logique rend la logique suspecte, parce que nous sentons que les définitions ont été choisies pour les preuves qu’elles préparent, et résulte d’un découpage, sinon tout à fait arbitraire, du moins, en grande partie, conventionnel : par suite, tout est démontrable. Mais si tout est démontrable, tout est verbal : le réel est ce qui résiste, n’obéit qu’à ses propres lois. D’où notre défiance à l’égard des systèmes trop bien construits : nous cherchons les fausses fenêtres. Cependant, à l’inverse, une formalité trop lâche, des idées mal liées, ou même, simplement, l’absence de système font accuser de verbalisme : que de philosophes renverraient volontiers Pascal ou Nietzsche à la littérature ! Ainsi situons-nous le vrai, le réel, entre le trop formel qui appelle la convention, et l’insuffisance formelle qui nous fait retomber à un impressionnisme subjectif.
Yvon BELAVAL, Les Philosophes et leur langage, Gallimard, 1952, pp163-164
Commentaires
Mouhamed Ndao (non vérifié)
dim, 01/10/2021 - 16:39
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Comprendre
mouhamedndao36@... (non vérifié)
dim, 01/10/2021 - 16:40
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Comprendre
Mouhamed (non vérifié)
dim, 01/10/2021 - 16:41
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Bien
Ndao (non vérifié)
dim, 01/10/2021 - 16:43
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Savoir
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